À la croisée des traditions ancestrales et de la gastronomie moderne, le kuro-zake, un alcool de riz ambré fabriqué uniquement à Kagoshima, s’impose comme un trésor culinaire méconnu. Héritier d’un savoir-faire vieux de plus de 1 200 ans, il incarne un pan vivant du patrimoine japonais, aussi précieux dans la cuisine que dans la culture locale. Ce voyage au cœur de son histoire, de sa fabrication et de ses usages gastronomiques révèle une boisson unique, désormais en quête de reconnaissance internationale.

Qu’est-ce que le kuro-zake ?

Le kuro-zake est un alcool de riz à la teinte ambrée, dont la fabrication repose sur des techniques de brassage remontant à l’époque Heian (794–1185). Il trouve ses origines dans le saké sacré utilisé dans les rituels shintô, nommé kuroki. Contrairement au saké classique pasteurisé, le kuro-zake suit une méthode ancienne d’ajout de cendres végétales durant le processus de fermentation. Ce procédé unique confère au breuvage une richesse enzymatique exceptionnelle, offrant des propriétés gustatives et conservatrices particulièrement recherchées en cuisine.

Fabriqué uniquement par la brasserie Higashi-shuzô dans la préfecture de Kagoshima, au sud du Japon, le kuro-zake est aujourd’hui un produit rare, presque en voie de disparition.

Une méthode de fabrication ancestrale

Le secret du kuro-zake réside dans l’emploi d’une technique de brassage appelée akumochi, qui consiste à ajouter des cendres de bois de chêne japonais au moût de riz fermenté, le moromi. Avant cela, la préparation suit les étapes classiques du saké : création du kôji à partir du champignon Aspergillus oryzae, ajout de levure, d’acide lactique et d’eau selon le procédé sandan-jikomi.

La spécificité de Higashi-shuzô tient à son utilisation du ki-kôji (kôji jaune), réputé délicat et sensible à la chaleur, contrairement aux kôji noirs ou blancs plus résistants, généralement employés dans la production de shôchû. Pour maintenir la qualité du ki-kôji, la brasserie contrôle soigneusement la température de ses locaux.

Les cendres, préparées artisanalement en brûlant lentement des branches de chêne japonais, produisent un liquide alcalin appelé aku. Ce liquide est filtré et ajouté au moromi avant le pressage. L’alcalinité élevée du aku agit comme conservateur naturel, tout en participant à l’élaboration de la saveur unique du kuro-zake.

Une richesse exceptionnelle en acides aminés

L’une des grandes particularités du kuro-zake est sa teneur remarquable en acides aminés. Des analyses réalisées en collaboration avec l’Université de Kagoshima ont révélé que le kuro-zake contient plus de 18 variétés différentes d’acides aminés, incluant l’acide glutamique, célèbre pour sa richesse en umami.

Cette concentration est près de deux fois supérieure à celle des mirins commerciaux. Le résultat est une complexité de goût qui sublime les plats sans les alourdir. En parallèle, le sucre naturel issu de la fermentation est présent en quantité importante, sans que le produit final devienne excessivement sucré, grâce à la diversité de ses sources.

Un allié précieux en cuisine

Traditionnellement, le kuro-zake est utilisé pour rehausser la saveur de nombreux plats. Sa richesse enzymatique permet d’attendrir les viandes, de neutraliser les odeurs fortes du poisson et d’améliorer la texture des produits transformés.

Il est notamment prisé dans la confection du satsuma-age, ces beignets de poisson emblématiques de Kagoshima. Là où l’on utiliserait un mélange de mirin, saké et sauce soja, quelques gouttes de kuro-zake suffisent à donner une profondeur et une élégance incomparables aux préparations.

Au-delà du satsuma-age, le kuro-zake s’invite dans des plats tels que les gyôza, les nouilles soba, ou encore les œufs de goberge mentaiko. Certains grands restaurants, comme Sushi Yoshitake à Tokyo (deux étoiles Michelin), l’utilisent pour magnifier leurs plats, notamment pour sublimer la chair du congre.

Les caractéristiques gustatives du kuro-zake

À l’œil, le kuro-zake présente une belle couleur ambrée, fruit de la réaction de Maillard entre les acides aminés et les sucres durant la fermentation. Son taux d’alcool oscille entre 13,5 % et 14,5 %.

Au nez, il dévoile des arômes riches de dattes, de céréales grillées, de fleurs séchées et de foin, agrémentés de notes légèrement médicinales. En bouche, sa texture légèrement visqueuse et moelleuse enveloppe le palais, développant une palette de saveurs complexe avant de laisser une amertume discrète et élégante.

Cette profondeur aromatique en fait non seulement un ingrédient culinaire exceptionnel mais également un breuvage de dégustation à part entière pour les amateurs de saké traditionnel.

Une production menacée mais pleine de promesses

Si le kuro-zake est aujourd’hui un produit rare, c’est parce que très peu de brasseries perpétuent la méthode du akumochi. Sur l’ensemble de Kyûshû et des préfectures voisines, seules une dizaine de brasseurs produisent encore du saké de ce type, et Higashi-shuzô est la dernière à proposer un kuro-zake non pasteurisé.

La popularité grandissante du shôchû durant l’ère moderne a éclipsé cette boisson ancienne. De plus, les défis liés au changement climatique, aux coûts élevés de fabrication et au déclin du nombre d’artisans spécialisés rendent la production fragile.

Pourtant, avec l’intérêt croissant des chefs et gastronomes pour les produits artisanaux et riches en umami, le kuro-zake bénéficie d’une opportunité unique de reconquête, aussi bien au Japon qu’à l’international.

Comment découvrir le kuro-zake ?

Les voyageurs gourmands souhaitant découvrir le kuro-zake peuvent se rendre à Kagoshima, dans la région de Minami-Satsuma. Outre la visite de la brasserie Higashi-shuzô (sur rendez-vous), il est possible de déguster des plats préparés avec du kuro-zake dans certains restaurants locaux.

De plus en plus de distributeurs spécialisés commencent à proposer ce produit aux chefs et amateurs de gastronomie japonaise à travers le monde. Il est même possible de se procurer une bouteille pour expérimenter soi-même ses nombreuses applications culinaires à la maison.

Nul doute que cet alcool méconnu est destiné à séduire ceux qui recherchent l’authenticité, la profondeur des goûts et l’élégance du patrimoine japonais dans leurs assiettes.

Redécouvrir et valoriser des trésors tels que le kuro-zake, c’est aussi participer à la préservation d’un savoir-faire unique et intemporel. Loin d’être une simple curiosité régionale, cet alcool de riz ancien incarne l’alliance subtile de la tradition et de l’innovation culinaire. Que ce soit en cuisine ou en dégustation, il offre une expérience sensorielle profonde, à la hauteur de son riche héritage.

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