Située au cœur de la préfecture d’Oita, sur l’île de Kyushu, la ville de Taketa est une ancienne cité féodale qui cache un pan méconnu de l’histoire religieuse du Japon : celui des chrétiens persécutés de l’époque Edo. De ses musées discrets à ses lieux de culte enfouis, Taketa offre un voyage unique à ceux qui souhaitent comprendre le destin des croyants qui ont survécu dans l’ombre.
Le contexte historique de la chrétienté au Japon
Le christianisme arrive au Japon en 1549, introduit par les missionnaires portugais, notamment François Xavier. Son expansion est rapide, en particulier dans le sud-ouest du pays. Mais dès le début du XVIIe siècle, le pouvoir central interdit la religion chrétienne, considérée comme une menace pour l’unité politique. Les croyants sont traqués, torturés ou exécutés, et doivent choisir entre la rétractation ou la clandestinité.
Dans ce contexte, Taketa devient un refuge discret. L’appui de certains seigneurs locaux et la géographie isolée de la ville offrent aux croyants une chance de poursuivre leur foi, à l’abri des regards.
Le musée Misterio : point d’entrée dans l’histoire cachée
À quelques pas de la gare de Bungo-Taketa, le musée Misterio est une porte d’entrée essentielle pour comprendre le passé chrétien de la région. Ce petit musée, premier du genre au Japon, présente des objets retrouvés, des témoignages reconstitués et des éléments d’archives rares. On y découvre comment les croyants, souvent samouraïs ou paysans, ont maintenu leurs pratiques malgré l’interdiction.
Parmi les figures emblématiques, on trouve Shiga Chikatsugu, seigneur d’Oka, converti au christianisme sous le nom de Don Paulo. Même après la répression, ses successeurs de la famille Nakagawa ont gardé une certaine tolérance envers les croyants, ce qui a contribué à maintenir une forme de protection sur la communauté.
La chapelle chrétienne troglodyte : lieu de foi clandestine
Le site le plus saisissant reste sans doute la chapelle chrétienne dissimulée dans une grotte sous le sanctuaire Hirose. Accessible par un chemin forestier, ce lieu fut un sanctuaire secret pour les messes et les rassemblements. Dans la pierre, on distingue encore un autel rudimentaire, une croix et un chandelier.
La position de la grotte, sur un terrain autrefois détenu par un haut fonctionnaire du clan Nakagawa, montre à quel point la pratique religieuse était risquée. La simple existence de ce lieu témoigne d’une foi enracinée et persévérante.
Un parcours guidé ou en autonomie
Le musée Misterio propose une carte pour explorer les principaux sites liés au christianisme caché dans Taketa. Cette visite peut se faire de manière autonome ou avec un guide, sur réservation. Parmi les étapes recommandées : les escaliers de Zyu Rokkyō, la rue des résidences de samouraïs (Bukeyashiki), ou encore les ruines du château d’Oka, dont les pierres portent encore la mémoire des clans protecteurs.
Pour les amateurs d’histoire, cette promenade est bien plus qu’un simple circuit touristique : elle met en lumière des siècles de résistance et d’adaptation religieuse dans un environnement hostile.
La préservation du patrimoine à Taketa
Contrairement à de nombreuses villes japonaises ayant choisi la démolition des bâtiments anciens, Taketa s’est engagée dans une politique de préservation active. Plusieurs maisons d’époque ont été restaurées et reconverties. Un ancien entrepôt est devenu atelier d’artisanat, une maison de samouraï transformée en café-galerie. Ce choix renforce l’atmosphère d’un centre-ville qui conserve les strates de son passé.
En flânant dans la ville, on ressent cette volonté de transmission. Les bâtiments en bois cohabitent avec des touches contemporaines discrètes. Même les petites échoppes évoquent une époque révolue, tout en s’adaptant aux usages actuels.
Le quartier Bukeyashiki et l’époque Edo
Le quartier des samouraïs de Taketa, connu sous le nom de Bukeyashiki, aligne treize anciennes résidences bordées de murs de pierre. Ces maisons, autrefois habitées par les vassaux des seigneurs locaux, évoquent la vie quotidienne à l’époque Edo. Certaines abritent encore des armures ou des objets rituels. Taketa Soseikan, situé à l’angle de la rue, présente une collection d’objets artisanaux anciens et d’armures.
En haut d’un escalier de pierre se trouvent le temple Kanonji et le sanctuaire Aizendo. Le site offre une vue panoramique sur la ville. C’est aussi un lieu de prière dédié à ceux qui cherchent un partenaire de vie, un exemple de syncrétisme spirituel propre au Japon.
La gastronomie locale : entre savoir-faire et produits du terroir
Taketa ne se limite pas à son histoire religieuse. La ville offre une gastronomie qui reflète son terroir et ses traditions. Le champon de Taketa, une soupe de nouilles riche en légumes et fruits de mer, est un plat local emblématique. On trouve également l’omurice, riz sauté enveloppé dans une fine omelette, souvent servi dans les cafés du centre-ville.
Les amateurs de produits de rivière apprécieront l’enoha, une truite locale délicate, souvent grillée au feu de bois. Les shiitake cultivés dans la région sont réputés pour leur goût riche, utilisés dans les plats traditionnels comme les bouillons ou les yakitori.
Enfin, ne manquez pas les douceurs insolites comme la glace à la sauce soja, vendue à la boutique Mugikura, ancien atelier de fermentation reconverti. Cette adresse propose aussi des cafés et des produits artisanaux.
Festivals et initiatives locales
Chaque novembre, Taketa accueille le festival Chikuraku, où des milliers de lanternes en bambou illuminent les rues. Ce moment de recueillement et d’esthétique renforce les liens entre les habitants et rappelle le rôle central du bambou dans la culture locale. Le festival attire de nombreux visiteurs, mais la ville mise aussi sur la revitalisation durable pour assurer sa survie.
Des entreprises comme Mugikura ou des cafés installés dans d’anciens bâtiments illustrent cette volonté de transmission. L’idée n’est pas de figer le passé, mais de lui offrir une place active dans le présent.
Accès et conseils pratiques
Taketa est accessible depuis l’aéroport d’Oita en voiture de location (environ 1h30 de route) ou par train via la ligne Hōhi, avec un arrêt à la gare de Bungo-Taketa. Cette dernière offre une belle entrée en matière : une cascade se dévoile derrière le bâtiment, comme une invitation à lever les yeux et à observer ce que l’on aurait pu manquer.
Pour explorer efficacement la ville et ses environs, la voiture est conseillée, surtout si vous souhaitez visiter des lieux reculés comme la grotte chrétienne ou les ruines du château d’Oka. Une journée complète permet de couvrir l’essentiel, mais deux jours sont idéaux pour apprécier le rythme paisible de la ville et approfondir la découverte.
Taketa est un lieu de mémoire et de résilience, où le passé religieux, les héritages féodaux et la vitalité contemporaine coexistent dans un équilibre discret. Marcher sur les traces des chrétiens cachés, c’est aussi interroger la force des convictions humaines et la capacité d’un territoire à préserver ses récits. En repartant, on comprend pourquoi tant de visiteurs prennent le temps, une dernière fois, de se retourner.
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